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Rencontre avec Alice Paillard, le nouveau visage des champagnes Bruno Paillard


Nous la retrouvons à la pointe ouest de l’île Saint-Louis, dans un appartement perché tout en haut de l’escalier d’un immeuble aux airs de palais italien, un peu décati. Plus tard, nous apprendrons qu’elle a vécu à Venise...


Par Stéphane Reynaud Publié le 21/04/2021




Nous voilà prêts à découvrir ses vins, tendus comme les amarres des péniches sur les quais de Seine, en bas de chez elle. La maison Paillard, la sienne, est une des seules à ne produire que des extra-bruts, c’est-à-dire des vins avec 6   grammes de sucre par litre, ou moins. Les branchés adorent.

Nous commençons avec un «dosage zéro, dont le message est un défi, dit-elle. Peut-on, avec notre climat, faire des vins sans dosage qui restent harmonieux ?». Réponse affirmative avec cette cuvée conçue à partir de plusieurs dizaines de vins de réserve. Puis on passe à son Nec plus Ultra 2004, produit seulement les belles années, aussi saillant et précis que les explications de la patronne, un vin qui se révèle généreux, épanoui, superexpressif sans rien perdre de sa finesse. «Un vin de discussion, dit-elle. J’ai envie que chacun de mes vins ait quelque chose à dire». Et ses cuvées parlent à beaucoup de gens. Aujourd’hui, Alice Paillard commercialise entre 300 000 et 500 000 bouteilles chaque année.

Elle est issue d’une famille ancrée en Champagne depuis trois cents ans. Née sous le signe du chardonnay, ascendant pinot noir, elle a grandi à une période «durant laquelle les maisons champenoises se vendaient, pour des raisons patrimoniales ou autres. Cela nous a marqués. Pour moi, les fenêtres fermées riment avec entreprises asphyxiées». Elle a pris le temps de partir, au Royaume-Uni, aux États-Unis, a toujours travaillé dans le monde des vins et spiritueux. La maison Bruno Paillard, 100 % familiale, a été fondée par son père qui lui a donné son nom, et lui a transmis il y a deux ans. Lui est resté président. «Il m’a laissé les coudées franches». Alice Paillard en est l’actionnaire principale avec un frère et deux sœurs. Elle dit que «le métier du champagne est hypercoûteux. Pour y arriver, il faut en vouloir longtemps et durablement. Donc l’indépendance ou un actionnariat très impliqué sont très importants. Pour un euro de chiffre d’affaires, il faut mobiliser trois euros de capital». Cela dit, elle va de l’avant et pense qu’en France, beaucoup sont timorés à l’idée de sortir de leurs habitudes. «Moi, je raisonne en pensant à l’endroit où j’ai décidé d’aller. Sinon, il m’arrive d’avoir peur, comme tout le monde». «Les premiers quinze ans de la maison Bruno Paillard ont été dédiés à la construction du réseau de distribution. Les quinze années suivantes furent consacrées à la création du vignoble. Aujourd’hui, avec 30 hectares, nous sommes à 70 % d’auto­approvisionnement. C’est génial !». Oui, Alice Paillard est du genre enthousiaste. Elle évoque ses 100 parcelles, ses 16 vins différents. Elle manque juste un peu d’entrain en évoquant son chiffre d’affaires 2020 : 7 millions d’euros, «pas le meilleur de notre histoire».

Avec ses amies propriétaires ou patronnes de domaine, elle a créé une sorte d’académie des bulles. Il y a Anne Malassagne, Charline Drappier, Chantal Gonet, Vitalie Taittinger, Maggie Henriquez, elle-même et d’autres. Comment les définir? Parlons d’une jolie somme de matière grise et de contemporanéité. C’est ce qui vient à l’esprit quand on les connaît. «Notre association ne parle pas de la difficulté d’être une femme. Nous disons juste qui nous sommes. C’est aussi une façon d’attirer d’autres jeunes femmes». Elles sont là pour rappeler qu’aujourd’hui, le champagne, ce ne sont pas que des marques. Ou plutôt que, derrière les marques, il y a de vraies personnes.

Sinon, elle joue du piano classique, Albéniz, Debussy, Beethoven. Bach, elle préfère l’écouter plutôt que le jouer. Elle «se met à Fauré, Schumann». Elle écoute Verdi ou Tchaïkovski, pour l’ampleur «même si on peut s’y abîmer». Elle a aussi des enfants et un mari qui travaille «dans l’industrie du vinaigre», il paraît que cela donne lieu à quelques blagues. Elle affirme qu’elle essaie de ne pas penser à la transmission, mais elle en parle quand même. «J’y pense dans la façon de transmettre l’amour des choses, l’histoire de la région, les cartes, les lieux… Je ne veux pas que mes enfants grandissent hors sol.»

Elle vient de passer une année "vertigineuse, car nous sommes surtout vendus en restauration et un peu chez les cavistes". Ces trois marchés privilégiés - le Japon, l’Italie, le Royaume-Uni, ont plongé. «Mais nous nous en sortons pas si mal», dit-elle. Elle n’est pas si inquiète pour l’avenir car «le champagne a de l’audace et va chercher à séduire les rois du monde. C’est toujours ce que ce breuvage a fait de mieux». Elle pense que le plus important pour ce vin est de rester désirable, «et ne pas oublier que les plus jeunes ont envie de quelque chose d’authentique, ont envie d’histoires». Elle nous explique que le vin fait partie de ces rares choses qui sont issues du travail manuel de l’homme, presque une exception dans un océan numérique. Elle veut garder les volets de sa maison ouverts sur le monde. Elle ne fait aucune fausse note.




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