ÉPISODE 1. Contraint par le réchauffement climatique et la volonté des vignerons de « faire autrement », le monde viticole évolue, avec ricochet dans le passé.
Par Florence Monferran
Parcourir de nouveaux territoires du vin, c'est s'évader un instant des contingences actuelles, de l'âpreté économique, l'incertitude des temps. Tel Janus, dieu des transitions, un monde viticole en pleine mutation nous offre aussi un double visage, l'un tourné vers le passé, l'autre vers l'avenir. Dans une carte des vignobles redessinée, une nouvelle donne ampélographique (liée aux cépages), des pratiques culturales et œnologiques transformées, point un passé ressurgi, des lieux désertés, des variétés oubliées, des savoir-faire enfouis.
À contre-courant d'une mondialisation formatant cépages et usages pour aboutir à une qualité améliorée, reproductible d'année en année, des vignerons d'abord isolés, souvent raillés, en ont forgé patiemment les contours. Trente ans, quarante ans plus tard, nouvelles tendances de consommation et urgences environnementales les inscrivent dans l'air du temps, jusqu'à faire la une des magazines, à l'instar d'un Robert Plageoles dans Paris Match, en novembre.
Des vignobles redécouverts
Au sens littéral du terme, ces nouveaux territoires expriment une extension géographique des vignobles. Nous assistons à une migration de vignes vers des zones moins chaudes, en une poussée vers le Nord (Bretagne, jusqu'à l'insulaire Groix, Île-de-France, validée en Identité Géographique Protégée en 2020, Hauts-de-France), ou prenant de l'altitude (Auvergne, Ariège, Alpes) en raison du réchauffement climatique.
Nouveaux vignobles, vraiment ? Cette extension procède en même temps d'une remise en culture d'anciens terroirs balayés par l'installation d'un système très productif, la mécanisation, de nouveaux moyens de transport. Une ancienne géographie renaît partout sur le territoire, resserrant les liens entre le vin et le lieu. Les grandes régions viticoles y travaillent depuis des siècles, la Bourgogne consacrée par l'inscription de ses « climats » (« portions de vignobles délimités, nommés, associés à des crus particuliers », JP Garcia) au patrimoine mondial de l'Unesco en 2015, l'Alsace cartographiant en 2020 tous les villages et lieux-dits de ses crus en un Atlas, sous l'impulsion de sa jeune garde. À leurs prestigieux côtés reprennent vie et nom les vins d'Orléans et de Cheverny, des coteaux du Gier ou de Suresnes, de Corrèze et d'Aveyron, de Seine-et-Marne ou de Picardie, jusqu'à la toute jeune Appellation d'Origine Protégée Moselle.
Renaissance
Un visiteur débarquant de la fin du Moyen Âge ou de la Renaissance ne serait pas dépaysé par cette géographie. Elle recouvre l'extension maximale des vignobles atteinte à ces époques. Grands seigneurs et rois de France, agrandissant leur domaine, ne devaient manquer de vin où qu'ils se déplacent sur leurs terres. Ils prolongeaient l'héritage antique, qui veut que tout homme de biens possède des vignes et offre son vin en l'honneur de ses hôtes. Leurs vassaux les imitaient, tant et si bien que le royaume était couvert de vignes. Basés sur des savoirs antiques conservés précieusement par les religieux, que leur propre savoir-faire abonde, des apprentissages de sols, de cépages et de vinifications se construisent lentement.
Vin de messe et d'hospitalité, vin médecin, rempart contre les épidémies du monde occidental, le vin emporte tous les suffrages. Quelques textes essentiels ont fixé au fil du temps les contours de cette carte viticole, nous divulguant au passage leur hiérarchie, de la Bataille des vins d'Henri d'Andeli (vers 1225) sous Philippe Auguste, au vinetum de Charles Estienne (1537) ou au Théâtre d'agriculture d'Olivier de Serres (1600), hissé au rang de père de l'agronomie française. Ces vignobles se calquent aujourd'hui de façon saisissante sur les nouveaux territoires du vin, en une « vie, mort et renaissance des vignobles » que Jacques Dupont a décrites dans une série d'articles.
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