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Les distilleries viticoles françaises, pas armées pour un futur pourtant enthousiasmant

Mercredi 10 février 2021 par Olivier Nazeyrollas


Olivier Nazeyrollas, prospectiviste : 'Imaginer un nouveau modèle, que celui qui conditionne la survie des distilleries aux aides et subventions, est inéluctable'. - crédit photo : DR


Olivier Nazeyrollas est prospectiviste après une carrière dans l'agriculture et notamment dans le secteur de la distillation. Il donne son point de vue sur l'avenir de ce secteur et tire la sonnette d'alarme sur la nécessité de la filière à lui dessiner un futur.



Les distilleries viticoles sont des acteurs majeurs dans la régulation du marché du vin en résorbant les excédents par la voie de la distillation et la production d’alcools industriels et de bouche.

La crise sanitaire, en conduisant en particulier à un effondrement des marchés CHR (cafés, hôtels, restaurants) lui a permis de jouer pleinement son rôle (plus de 2 mio d’HL de vins distillés en 2020) et ainsi de profiter de nouvelles aides européennes (155 M€ en 2020)

La fin de la crise sanitaire et un retour à un marché du vin « assaini » devrait réduire cette activité et les revenus associés.

Le deuxième rôle essentiel des distilleries est le traitement des sous-produits de la vinification (marcs de raisin et lies de vin) hautement polluants compte tenu de leur nature organique et de l’alcool qu’ils contiennent. Une activité également largement subventionnée par l’Europe

La valorisation de ces sous-produits, troisième volet de l’action des distilleries, est un enjeu majeur pour leur avenir qui, ne peut reposer indéfiniment sur l’assistanat (aides et subventions) de plus en plus insupportable pour des budgets européens contraints et incompréhensible par les autres acteurs économiques ne bénéficiant pas des mêmes largesses.

Ainsi, les distilleries les plus visionnaires (Grap’Sud,) ce sont-elles lancées – en compléments de leurs activités traditionnelles de production d’alcools, de tartrate de calcium, de pépins et de pulpe de raisin - dans l’extraction et la synthèse de colorants naturels, de composés phénoliques anti-oxydants , d’huiles essentielles, de sucres concentrés, pour servir les industries de l’alimentation (humaine et animale), de la pharmacie, de la nutraceutique, de la cosmétique et de l’œnologie. Des activités et des marchés nouveaux pour lesquels il a fallu développer des savoir-faire et de l’innovation.

30 ans après, force est de constater que le modèle n’a toujours pas fait ses preuves et que les attentistes, ancrés dans leurs activités traditionnelles, s’en sont beaucoup mieux sortis profitant à plein des subventions européennes sans supporter les coûts de la diversification.

Erreur de vision ou d’exécution ?

Imaginer un nouveau modèle, que celui qui conditionne la survie des distilleries aux aides et subventions, est inéluctable.

L’économie circulaire, le recyclage des déchets, le « naturel », cœur de métier des distilleries, sont plus que jamais d’actualité

Donc si ce n’est pas un problème de vision c’est bien un problème d’exécution.

Un problème d’exécution et un manque de coopération

Des aides et subventions généreuses qui encouragent le « statu quo » et donc n’incitent pas à la rationalisation, l’innovation et la coopération.

Une gouvernance inadaptée : la majorité des distilleries sont de petites coopératives agricoles traditionnelles minées par les luttes de pouvoir et les intérêts particuliers qui empêchent la coopération et la capacité à développer une vision et des moyens communs. Le principe d’absorption des moribonds est la triste règle en vigueur.

Un manque de compétences : entrer dans de nouvelles activités demande, au-delà de l’acquisition de compétences techniques et marketing, des compétences managériales pour comprendre les enjeux, faire des choix éclairés, développer des alliances pour ne pas dilapider ses ressources et surtout développer et retenir les talents.

Un manque de financement : conséquence des deux points précédents et d’une structure juridique protectrice mais contraignante, le seul acteur français de référence dans le domaine de la diversification et de l’innovation a vu s’évaporer ses moyens et ses talents et se retrouve depuis quelques années dans une situation qui va le conduire, sous la contrainte, à se faire absorber par une coopérative concurrente. Que de temps, de moyens et d’opportunités gâchés.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Une industrie française autrefois précurseur (Grap’Sud), qui n’a pas su développer et conforter ses positions sur le chemin de la diversification, s’est fait piller ses talents (partis en nombre à l’étranger) et se retrouve aujourd’hui dépassée, obsolète et qui doit sa survie aux subventions européennes. Une situation Intenable à moyen terme!

Et pourtant ailleurs les choses avancent ; des acteurs majeurs en Italie mais surtout en Espagne (Alvinesa) se sont organisés, ont largement investi avec le concours d’investisseurs financiers et deviennent aujourd’hui des acteurs de référence sur les marchés. Ils pourraient menacer à terme les acteurs français sur leur territoire, par l’exportation de leur modèle- contraints chez eux à des exigences environnementales croissantes. Un modèle qui pourrait s’avérer suffisamment robuste pour s’affranchir à terme des subventions européennes, offrir un service inégalé et ainsi faire l’unanimité.

Tout n’est pas perdu mais une prise de conscience collective doit vite s’imposer

Il est temps que la filière viticole s’empare collectivement du sujet et cesse de voir en ses sous-produits des « déchets » mais au contraire une « mine d’or » source de revenus complémentaires et d’image pour une profession qui en a bien besoin.

Une démarche qui doit être impérativement coordonnée par les organisations de tutelle (Coop de France), les instances syndicales et l’Etat qui devrait investir le sujet … lassé de financer tous les ans à fonds perdus. Car continuer à penser que les distilleries vont s’entendre entre elles a et conduira à une impasse.

Mieux appréhender les facteurs de changement et leurs conséquences, les potentialités du numérique et imaginer collectivement les futurs possibles pour finalement élaborer et financer un projet commun tout en développant ses capacités à agir dans un environnement de plus en plus complexe et incertain doit maintenant mobiliser toute la filière… sous peine de voir son destin lui échapper.

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